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27 juin 2015

"La Fille sans qualités" - Juli ZEH

 La fille sans qualités

Roman traduit de l'allemand par Brigitte Hébert et Jean Claude Colbus.Actes Sud 2007. Collection Babel.

Titre original : Spieltrieb . Publication en Allemagne : 2004

 

Après la première Guerre Mondiale, Robert Musil écrit "L'Homme sans qualité", roman inachevé dont le personnage central, Ulrich, homme qui a toutes les qualités, refuse de les employer pour laisser ouvertes toutes les possibilités, srcute la décadence de l'Empire austro-hongrois à la veille de la Grande Guerre. Mais il la scrute en marge des évènements, comme en retrait.

Le titre du roman de Juli Zeh renvoie forcément à l'oeuvre de Musil, somme essentielle de la littérature du XXeme siècle. A plusieurs reprises, les personnages y font référence.

"Il se mit à parler de Robert Musil, de Vienne telle qu'elle était à l'aube du siècle dernier, de l'épanouissement de la modernité. Il parla de la décomposition imminente qu'amènerait la Première Guerre mondiale, à laquelle nul de croyait, que nul n'avait prévue, et qui pourtant, telle une tempête de sable, avait tout emporté. Il parla de la perte de la foi, de l'effritement des valeurs, de l'anarchie d'un esprit déchaîné et de la quête frénétique de cette chose, qu'à une époque depuis longtemps révolue on avait baptisée "âme"."

ici, Ada, 14 ans a décidé d'être cette "fille sans qualités". Fille du nihilisme, elle n'a aucune considération pour le monde des adultes et place l'efficacité au-dessus de toute autre valeur.

« Ada se tenait moins pour un individu que pour la quintessence de l’esprit du temps. Quand elle se présentait aux autres en actes et en paroles, elle avait l’impression de leur montrer un prototype conçu pour faire voir aux humains émergents la prochaine étape vers laquelle l’évolution se dirigeait de manière tellement inéluctable que pessimisme et désenchantement n’avaient pas plus de sens qu’un hobby à la mode."

Avec Alev, de quatre ans son aîné, et Smutek, le professeur d'Allemand, ils forment le trio central qui va volontairement aller frapper aux portes de l'enfer. Nous sommes durant l'année scolaire 2004-2005 dans un lycée allemand qui tente de remettre sur le chemin de la réussite scolaire des élèves en perdition. 

Mais pour une partie de cette jeunesse qui a grandi avec le conflit des balkans, les attentats du 11 septembre et ceux de Madrid, la notion même de réussite n'a plus grand sens. Les questions qu'ils se posent sont d'une toute autre nature ...

"Le pragmatisme remplace pour nous tout ce qu’offraient autrefois les grandes idées et les religions, ce qui faisait croire à la paix, aux droits de l’homme et à la démocratie. Le pragmatisme nous empêche de devenir des criminels ou nous y incite quand c’est nécessaire. Il légitime la persistance de la justice, de la famille et du travail, il nous rend gentils et recommande de soigner son apparence. Après nous être libérés de toute contrainte, nous n’avons plus qu’un seul mentor : le pragmatisme. Tu verras : nous qui sommes vidés de tout, il ne nous manque rien !” 

Sans passion, rétive à tout sentiment, insensible et totalement déconnectée du réel qui l'entoure, Ada est pourtant une élève surdouée, à l'intelligence toujours en éveille . Mais elle s'ennuie ferme dans ce lycée de Bonne. Comme le héros de Musil, qui observe son temps avec un total détachement, elle regarde ses congénères, ses professseurs, le monde adulte avec distance et curiosité en prenant soin de ne pas s'impliquer. Jusqu'au jour où paraît Alev en qui elle voit immédiatement son égal et quelqu'un avec qui elle peut enfin se confronter. Mais Alev, habile rétoricien, est surtout un grand manipulateur et un grand pervers.

Une connivence se construit entre les deux élèves. Un jeu pervers et maléfique est organisé auquel se prête la jeune Ada avec tout le détachement dont elle est capable, et dont Smutek fera les frais. Jugé trop humain, il s'agit de libérer le professeur, par ce jeu, de valeurs qui l'empêchent, selon eux, de jouir d'une totale liberté. Et Smutek se laissera entraîner, pris dans les filets de la jeune Ada... Prisonnier de la manipulation, il ira au bout de l'expérience ...  avec Ada mais sans Alev.

 Juli Zeh organise sa longue narration, plus de 650 pages dans l'édition de poche, en de courts chapitres aux titres assez déroutants : "Quelque chose déraille sans qu'on puisse le saisir ; s'en suivent quelques semaines de torpeur", "Ada parle à sa mère et s'épile les sourcils", "L'envie de dormir est une odeur", "Devant la loi et en haute mer, nous sommes dans la main de Dieu" ... Titres enigmatiques qui trouvent leur développement et leur signatication dans le récit. 

On sort de ce roman avec un certain malaise. Car Juli Zeh sait nous rendre proches ces personnages qui parfois nous rebutent par leurs actes et leur insensibilité. Nous sommes pris entre le rejet de leur comportement et la sympathie pour ces jeunes qui refusent le système tel qu'on veut leur imposer.

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